ITW-Moussaoui sur la charte des principes pour l’islam de France
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Oumma.com. Présentée comme un « texte fondateur » à la fois par le CFCM que vous présidez et le président de la République, la « Charte des principes » pour l’islam de France ne fait toutefois pas l’unanimité en interne. Etes-vous surpris par les critiques que son élaboration soulève ? Ne craignez-vous pas qu’elle ne soit une nouvelle pomme de discorde ?
M.M. Face à la défiance grandissante d’une frange de nos concitoyens à l’égard de l’islam et des musulmans, à cause notamment des attentats commis par des individus se réclamant de notre religion, face à cette confusion dangereuse et inacceptable entre islam et violence et aux débats récurrents sur certaines pratiques musulmanes ou prétendument musulmanes, il fallait rappeler des principes et mettre un cadre.
La charte des principes a donc pour objectif de combattre les clichés et les préjugés projetés sur les musulmans de France, en réaffirmant que les principes qui les guident en tant que musulmans sont totalement compatibles avec les principes de la République qui les animent en tant que citoyens français.
La charte des principes pour l’islam de France s’adresse à la fois à nos coreligionnaires età nos concitoyens, afin de réaffirmer que l’islam n’a aucun problème avec les principes qui fondent notre Constitution et les conventions internationales sur les droits humains.
Si, à travers cette charte, nous arrivons à recentrer les débats sur ces grands principes et sortir des polémiques sur certaines pratiques qui nous prennent en otage, nous aurons alors atteint une partie de notre objectif.
Que répondez-vous à ceux qui reprochent à cette Charte d’avoir été dictée par l’Elysée et accusent par là même le CFCM de s’être plié à une injonction de l’Etat, dans le sillage des derniers attentats qui ont coûté la vie à l’enseignant Samuel Paty et à trois paroissiens à Nice ?
Les assassinats abjects de l’enseignant Samuel Paty et des trois paroissiens à Nice nous ont bouleversés et nous ont amenés à redoubler d’effort pour prémunir notre jeunesse face aux extrémistes, dont les actes sont la négation même de l’islam et de ses principes. Réaffirmer ces principes n’est plus une option, c’est une nécessité et un devoir.
Pour répondre plus précisément à votre question, je vous renvoie à un document, publié par l’Union des Mosquées de France (UMF) en août 2019, intitulé « Propositions de l’Union des mosquées de France pour l’Organisation et le Financement du culte musulman ». Un chapitre (pp.14-29) est consacré à la création d’un Conseil National des Imams et des Aumôniers (CNIA), à la charte des principes des imams de France ainsi que de leur formation. Depuis mon élection le 19 janvier 2020, ce document est devenu le plan d’action du CFCM.
Le 24 novembre 2020, une trame du texte de la charte des principes a été rédigée par mes soins et présentée aux huit fédérations composant le CFCM. Celle-ci a été discutée et enrichie par les contributions de chaque fédération, donnant lieu à une version validée, le 15 décembre 2020, par les huit fédérations.
La sortie du recteur de la mosquée de Paris du 28 décembre 2020 a créé une nouvelle situation qui m’a imposé, en tant que président du CFCM veillant sur l’unité de cette institution, de réagir vite pour rétablir la confiance en son sein. Avec six fédérations décidées à poursuivre les discussions sur le projet du Conseil National des Imams (CNI) et sa charte, nous avons tendu la main à la Grande Mosquée de Paris. Le ministère de l’Intérieur a, de son côté, usé de sa médiation pour rapprocher les différentes parties.
Dans un récent communiqué, le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), la confédération islamique Millî Görüs et Foi et Pratique – les trois fédérations qui refusent de la signer, aussi longtemps qu’elle ne sera pas amendée – dénoncent vigoureusement l’absence de concertation qui a prévalu à son adoption. Est-ce exact ?
Non, ce n’est pas exact. Le texte qui a été signé par les cinq fédérations a été élaboré, le 16 janvier 2021, par moi-même et les deux vice-présidents du CFCM, MM. Ibrahim Alci et Chems-eddine Hafiz, en s’appuyant sur la version du 15 décembre 2020 validée par l’ensemble des huit fédérations, dont les trois (CCMTF, CIMG et FP). Le 17 janvier 2021, ce texte a été proposé aux autres fédérations à l’occasion d’une réunion extraordinaire. Constatant que 90 à 95 % de son contenu faisait l’unanimité des huit fédérations, les 5 à 10% de divergence portant essentiellement sur des nuances de formulation et non pas sur les grands principes, nous l’avons considéré comme « dénominateur commun ».
Nous avons décidé également de lancer une large consultation auprès des instances régionales (CRCM), imams et responsables de mosquées, en leur soumettant le texte de la charte et les documents fondateurs du CNI. L’acte de naissance et le règlement intérieur de ce dernier ont déjà été validés à l’unanimité par les huit fédérations, le 10 novembre 2020.
L’objectif de cette consultation étant d’apporter d’éventuelles améliorations et d’obtenir une large adhésion au projet du CNI. Le texte du communiqué que j’ai signé le 17 janvier 2020 pour acter cet accord a été validé à l’unanimité par les huit fédérations.
Les cinq fédérations, qui ont parafé la charte devant le président de la République, ont considéré celle-ci comme un bon compromis. Il était difficile, voire impossible, de produire un texte capable de satisfaire à 100% toutes les fédérations.
Il appartient donc aux trois fédérations (CCMTF, CIMG, FP), comme aux autres, de formuler leurs amendements sur le texte par écrit et de les transmettre au CFCM. Ils seront pris en compte avec l’ensemble des retours des CRCM, CDCM, imams et responsables de mosquées. A ce jour, aucun amendement écrit n’a été transmis au CFCM.
Certains déplorent également que les imams, les premiers concernés par la création du Conseil National des Imams (CNI), n’aient pas été associés à la réflexion générale. Comment expliquez-vous ce qui peut paraître de prime abord comme une anomalie ou un paradoxe ?
Comme je viens de le préciser, une large consultation sera lancée dans les jours à venir auprès des imams et des responsables de mosquées sur le projet du CNI et sur la charte des principes. Le texte proposé est le fruit de discussions des responsables des huit fédérations qui ont évidemment consulté leurs imams référents. Il s’agit donc d’une bonne base de consultation.
J’aimerais bien qu’on m’explique comment envisager une consultation en ne proposant aucun texte ? Comment récupérer les différentes contributions ? Qui aurait pu faire la synthèse de quelques milliers de contributions et avec quels moyens ?
Nous fonctionnons à l’image de notre organisation sociétale. A titre d’exemple, le gouvernement propose un projet de loi validé en Conseil des Ministres. Les parlementaires l’enrichissent par leurs amendements avant de passer au vote. Même si le parallèle n’est pas tout à fait exact, notre projet suivra un parcours similaire en le proposant à une large consultation.
Le chercheur Haoues Seniguer, pour sa part, met en lumière les préjugés que certains passages du texte renforcent et les contradictions, relatives à l’ingérence des Etats et à l’islam politique, qu’ils font ressortir. Certains signataires du texte étant notamment étroitement liés à l’islam politique. Que vous inspire son analyse ?
Dans son analyse, Haoues Seniguer apporte des éléments intéressants à ce débat sur l’islam de France que nous avons voulu recentrer autour de certains principes. Toutefois, compte tenu de ce que je viens de rappeler, il n’est pas exact d’affirmer que ce texte « relève d’un processus commandé et construit par le haut » qui « s’est dispensé d’une consultation large et contradictoire ». Dire que le texte, de par sa forme, renforcerait certains préjugés est discutable.
Réaffirmer et mettre en œuvre des grands principes, tels que la liberté de conscience et de religion, l’égale dignité humaine et tous ses corolaires, doivent être au centre de nos préoccupations. Il faut sortir du schéma réducteur dans lequel certains ont voulu cloisonner l’islam. Continuer à présenter l’islam comme un agrégat de mesures et de normes d’interdictions, en le qualifiant de surcroît de porteur de germes de violence, n’est pas acceptable.
L’article portant sur l’islam politique aurait pu être mieux formulé, je vous l’accorde. Mais l’idée fondamentale est le rejet de toute instrumentalisation de l’islam à des fins politiques par des idéologues. S’appuyant sur une interprétation des textes religieux, ces idéologues tentent d’asseoir leur vision et de créer la séparation entre les citoyens, selon qu’ils adhèrent ou non à leur interprétation et à leur projet politique. Cette instrumentalisation accentue la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de l’islam et des musulmans, et crée la division au sein de la communauté musulmane.
Par ailleurs, le rejet de toute ingérence étrangère dans l’exercice du culte musulman en France ne signifie pas pour autant le rejet des partenariats qui peuvent exister avec des pays ou institutions universitaires, et des scientifiques étrangers dans le cadre d’accords bilatéraux. Tous les cultes de France entretiennent ce type de relations. Sur ces deux principes, les huit fédérations sont unanimes.
Avec l’article 3 de la charte portant sur l’apostasie, l’article 5 portant sur l’orientation sexuelle, vous avez abordé des questions théologiques qui restent très sensibles aux yeux de certains. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
L’apostasie s’est imposée comme synonyme du mot arabe « Ridda ». Ce dernier englobe deux réalités distinctes : d’une part, renoncer à sa religion, et d’autre part, rejoindre un groupe hostile et tourner son arme contre sa communauté (religieuse) d’origine. La première, relevant de la liberté de conscience et de religion garanties par les textes scripturaires, n’est pas criminalisée dans le droit musulman. La seconde, qui est l’équivalent du concept moderne de « la haute trahison », est criminalisée. Raison pour laquelle nous ne qualifions pas le renoncement à l’islam d’apostasie et nous appelons à ne pas criminaliser celui qui renonce à sa religion.
S’agissant de notre rejet de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, nous ne faisons que rappeler notre respect des conventions internationales signées par notre pays et qui engagent tous les Français que nous sommes. En réaffirmant cela, nous ne remettons pas en cause le fait que seules les relations sexuelles entre un homme et une femme unis par le mariage sont autorisées dans le droit musulman. Contrairement à la loi de la République opposable à tous, le droit musulman est opposable à celui qui y adhère librement. Les conséquences de cette adhésion, qui sont d’ordre moral et non pénal, n’exonèrent personne du respect de la loi de la République.
L’une des déclarations de la charte qui fait débat est le passage suivant : « Nous réaffirmons d’emblée que ni nos convictions religieuses ni toute autre raison ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République ». Pourquoi, selon vous, ce point particulier ne suscite-t-il pas l’approbation générale ?
J’ai toujours dit que les questions du type : « Est ce que les lois de Dieu sont au-dessus des lois de la République ? » ou encore « Faites-vous passer vos convictions religieuses avant les valeurs de la République ? » sont mal posées.
La loi de la République s’applique à tous. Personne ne peut invoquer une quelconque raison pour s’y soustraire. Mais la respecter ne veut pas dire renoncer à ses convictions, y compris à l’égard de ladite loi. Lorsqu’un projet de loi est soumis aux parlementaires, il arrive qu’une partie de ces derniers s’y opposent farouchement en la qualifiant de tous les noms : liberticide, antisociale, injuste, inefficace,…
Tout en acceptant le vote majoritaire qui engage l’ensemble des citoyens à respecter la loi votée, ces opposants n’abandonneront pas pour autant leurs convictions au sujet de la loi.
Un croyant peut placer ses convictions religieuses au-dessus d’une loi de la République, c’est sa liberté de conscience et d’opinion, mais il ne peut en aucun cas se soustraire à cette loi.
Le président du CCMTF avait déclaré qu’un changement du titre en remplaçant « Islam de France » par « Islam en France » aurait suffi pour apposer sa signature à la charte. Que lui répondez-vous ?
En ce qui me concerne, les deux expressions signifient la même chose : celle que nous lui assignons !
L’islam est une religion avec ses sources scripturaires multiples, dont le Coran et la tradition prophétique. Ces sources ont donné lieu à différentes interprétations exprimées par des hommes et des femmes ayant vécu dans des contextes différents et dans des sociétés organisées différemment. Depuis sa venue, l’islam s’est déployé sous des formes d’expressions qui sont imprégnées de ces contextes. La multiplicité des écoles juridiques musulmanes est une preuve de cette adaptabilité permanente de l’islam au contexte où il se déploie.
De ce point de vue, l’islam se déployant en France par les efforts des hommes et des femmes vivant en France, donne lieu à ce que nous appelons « islam de France » ou « islam en France ». Sur le plan de son organisation, de ses institutions, de son vécu au quotidien, ce déploiement de l’islam diffère de celui d’un autre pays, tout en s’appuyant sur les mêmes sources scripturaires.
Enfin, envisagez-vous de communiquer sur la Charte des principes pour l’islam de France, à la fois auprès des citoyens français de confession musulmane et de l’ensemble de la Nation, et de quelle manière ?
La charte a été rendue publique le 18 janvier 2021. J’ai adressé un courrier aux CRCM pour les exhorter à organiser, dans la limite de ce que permet la situation sanitaire de notre pays, des assises autour de cette charte et à faire remonter aux CFCM les avis exprimés à son sujet par les musulmans de leur région, notamment parmi les imams et les responsables de mosquées.
Une fois ces retours recueillis, le Conseil National des Imams (CNI), qui sera déjà mis en place, les prendra en compte et y apportera les réponses appropriées.
Aussi, j’appelle aujourd’hui solennellement tout un chacun à prendre ses responsabilités et à mesurer la gravité de la situation, mais aussi des défis que nous devons affronter tous ensemble. Toute construction de cette nature a besoin d’un effort collectif soutenu. Toutes les propositions, même critiques, visant à améliorer ce projet sont les bienvenues.