COVID-19 : Enseignements et interrogations
Mohammed MOUSSAOUI, président du CFCM
Dans un contexte où l’information est disponible d’une manière presque instantanée et où les images amplifient considérablement les effets, la pandémie du Covid-19 a obligé les gouvernants à prendre des décisions de portées considérables dans un lapse de temps très court. Le confinement de la moitié de l’humanité, l’arrêt ou le ralentissement de l’économie mondiale, l’ébranlement des systèmes de santé des pays les plus développés sont des exemples de ces effets immédiats et inédits de la pandémie COVID-19.
Cette situation doit nous amener à avoir un nouveau regard sur d’autres crises qui éprouvent l’humanité et dont les impacts ne sont pas toujours pris en compte de la même manière. A titre d’exemples, chaque année le tabagisme tue 73 000 personnes en France, la pollution de l’air 48 000, l’alcoolisme 41 000. De même, le réchauffement climatique n’est pas suffisamment pris en compte malgré ses conséquences dramatiques sur notre planète.
Les signes de recul de la pandémie dans certaines régions du monde ne doivent pas nous faire oublier que d’autres régions sont encore dans son épicentre. N’oublions pas non plus que pour l’instant, aucun vaccin ni traitement efficace n’est disponible, que de nombreuses questions sur le virus n’ont pas encore de réponses. Penser l’après COVID-19 ne suppose pas que la pandémie est dernière nous.
Préserver la vie d’abord
Tout en reconnaîssant avec humilité la difficulté de faire des propositions concrètes sur des situations qui évoluent sans cesse et dont les données ne sont pas faciles à analyser, nous pointons ici quelques enseignements de cette crise sanitaire.
Nous notons avec satisfaction que la préservation de la vie a pu orienter les choix de nos gouvernants au moment où certains mettaient au même niveau de priorité la préservation de la production économique.
Par ailleurs, les mesures de protection sanitaire, qui sont essentielles pour préserver la vie et sauvegarder la dignité humaine, doivent être proportionnées pour ne pas engendrer d’autres sources de trouble de notre vie individuelle et collective. C’est le maintien difficile de cet équilibre qui fait la grandeur et la pertinence d’un système de gouvernance.
Le principe de préservation de la vie a amené également les responsables religieux de notre pays à adapter ou à suspendre des dispositions rituelles et à annuler de nombreuses célébrations essentielles dans la vie religieuse des croyants.
Un destin commun
L’un des grands principes mis en exergue par la pandémie COVID-19 est la relation d’interdépendance entre les peuples et les nations. La vulnérabilité des uns se transforme inéluctablement en la vulnérabilité de tous.
Pour traduire cette interdépendance, le prophète de l’islam a comparé ceux qui se trouvent face à une difficulté et ceux qui pensent en être à l’abri, à « un groupe de gens qui prennent place à bord d’un bateau ; certains obtiennent le pont supérieur et d’autres vont à l’entrepont. Lorsque ces derniers ont besoin d’eau, ils doivent passer par le pont supérieur. Si les occupants du pont supérieur ne leur facilitent pas l’accès à l’eau, ils seraient tentés d’y accéder en creusant un trou dans leur emplacement. Et si les autres les laissent faire, tout le monde fera naufrage ; dans le cas contraire tout le monde sera sain et sauf. » (Recueil de l’imam Bukhārī, n° 2493).
Les rapports entre riches et pauvres, individus ou pays, doivent être regardés à travers cette interdépendance. Les conflits qui ravagent des parties du globe s’ils ne sont pas résolus avec justesse et équité auront des répercussions sur le monde entier. La précarité sanitaire dans certains pays peut se transformer en pandémie planétaire. Ne pas trouver d’accord sur le niveau d’émission du gaz carbonique, sur le transfert du savoir-faire en matière de protection environnemental exposerait l’ensemble de l’humanité à des dérèglements sans frontières et à des mouvements massifs de populations.
Pour un développement écologique et solidaire
Confiner les populations pour sauver des vies, impliquant l’arrêt de nombreux secteurs de l’économie, est un choix inédit dans notre histoire récente. Sommes-nous en mesure de supporter les conséquences économiques et sociales qui en résultent ? À supposer qu’on ait découvert un vaccin et un traitement contre le COVID-19, serions-nous en mesure de faire face à de futures pandémies de même ampleur ?
Nous n’étions visiblement pas préparés à faire face au COVID-19. Notre activité n’était pas suffisamment axée sur des secteurs de vie tels que la santé, l’hygiène, l’agriculture, les moyens de l’éducation, la recherche, l’énergie propre et traitement des déchets. Notre économie doit être utile, solidaire et soucieuse de la protection de l’environnement et de l’intérêt des futures générations.
Il est nécessaire de revaloriser des métiers qui ont permis la continuité de l’activité de notre pays tels que les soignants, les agriculteurs, les employés des firmes agroalimentaires, les caissières, les livreurs, les éboueurs, etc…
Les maisons de retraites, les EPAHD, et les foyers de résidence collective se sont avérés les plus vulnérables face à la pandémie.
L’enseignement à distance suite à la fermeture des établissements a mis en évidence des inégalités de chances entre les enfants de la République.
Sur le plan politique, il est temps de se libérer de la logique électorale pour pouvoir élaborer des projets ambitieux dans la concorde et l’entente entre les forces politiques de notre pays en mettant l’intérêt général au dessus des appartenances partisanes.
Les besoins spirituels de nos concitoyens ne sont pas suffisamment pris en compte dans l’organisation de notre société.
Le principe de laïcité à l’épreuve
Conscient du rôle que peuvent jouer les religions dans l’accompagnement des citoyens face à la maladie, la mort, la solitude ainsi que l’impact de la distanciation physique sur le lien social, le Président de la République a évoqué avec les représentants des cultes l’idée d’un conseil de résilience dans lequel les religions auront leur place.
Alors que de nombreuses entreprises ont mis leurs cadres et employés au chômage partiel, les cultes ont continué, malgré leurs difficultés financières, à faire travailler leurs ministres au service des populations en plein pandémie, particulièrement auprès de familles que le Covid-19 a durement touché. Contrairement aux entreprises économiques, les difficultés financières des cultes n’ont pas été prises en compte par l’État, principe de laïcité oblige !
Sur un autre registre, la crise a révélé l’insuffisance des carrés musulmans en France, rendant plus grande l’épreuve du deuil pour de nombreuses familles. Comment expliquer à ces familles qu’elles ne peuvent pas inhumer leurs défunts dans le respect de leur rite ? Des maires argüent sans sourciller que la loi (laïque) ne les oblige pas à créer un carré musulman dans leurs cimetières. Ils oublient que cette même loi ne leur interdit pas de le faire et que dans pareille circonstance leurs administrés attendent d’eux un simple geste d’humanité et de compassion.
Nous devons prendre conscience de notre fragilité, de notre impuissance et de l’impertinence de certains de nos choix en matière économique et sociale. Nous devons réexaminer la place des religions dans nos sociétés et tenir compte des besoins spirituels des citoyens. En période de crise et d’inquiétude, la spiritualité peut être source d’espérance et de quiétude et d’entraide. Ainsi, avons-nous vu nos nos mosquées distribuer des colis alimentaires et des repas chauds aux plus vulnérables d’entre nous et aux plus exposés aux virus comme les soignants.
La solidarité qui s’est exprimée de manière spontanée dès le début de la pandémie, notamment dans les quartiers dits populaires, nous enseigne qu’il est possible de bâtir une véritable société de partage où chacun pourrait trouver sa place et apporter sa contribution.