Quelles réformes et pourquoi ?

Par Dr Tarik Abou Nour imam théologien président de l IESIP (Institut d’Enseignement Supérieur Islamique de Paris ) et responsable du site doctrine-malikite.fr :

Depuis les attentats criminels qui ont frappé notre pays la France, nous entendons beaucoup de voix qui s’élèvent pour appeler à la réforme de l’islam, deuxième religion de notre pays.
Pourtant l’analyse sérieuse et profonde de ce mal moderne , le terrorisme, indique qu’il est le mauvais fruit de plusieurs facteurs qui n’ont rien de religieux à savoir le rejet de l’autre, la haine et le mépris de la vie , la précarité spirituelle , le litteralisme….
La plupart de ces terroristes viennent du monde de la délinquance avec souvent un fond d’exclusion sociale !

Si nous voulons absolument faire de la réforme, elle sera inéluctablement de deux types :

1. La réforme de nos coeurs et de nos comportements : en concentrant nos efforts sur l’éducation morale, civique et spirituelle de nos enfants et plus globalement en purifiant nos coeurs des maladies intérieures qui le souillent et le voilent telles l’orgueil, la haine, l’envie, l’ostentation, l’égoïsme, l’amour du pouvoir….Allah nous ordonne dans le Coran : “et éloignez -vous du péché tant interieur qu’extérieur.”
Cela exige une education spirituelle éclairée, le grand djihad pour dompter notre ennemi intérieur, l’âme charnelle (nafs).
Cela implique une formation adequate de nos imams et une réforme organisationnelle de l’islam de France.

2. La réforme au sens de l’ijtihad, domaine exclusif des savants compétents (oulémas ): elle ne peut toucher les fondamentaux mais concerne les éléments culturels, contextuels ou conjoncturels ainsi que les réponses aux éléments de l’actualité (dits nawazil ) dans le respect de l’esprit et des nobles finalités du texte scripturaire.

Nous allons nous focaliser dans ce qui suit sur ce dernier point.

Certes en islam nous n’avons pas de clergé mais nous avons des savants spécialistes (oulémas ) qui ont toujours oeuvré de façon indépendante et scrupuleuse pour protéger nos textes scripturaires de toute interprétation hasardeuse et de toute instrumentalisation pour des fins terrestres.

Les savants musulmans ont divergé par rapport à plusieurs sujets concernant les branches de la religion car les compagnons eux même avaient divergé.
La naissance des quatre écoles est une expression d’une divergence légale, admise et justifiée en jurisprudence.

La bonne question qui s’impose est : quels sont ces éléments fondamentaux qui ne peuvent pas être changés et ceux qui admettent débats et ijtihad de la part des spécialistes ?

Pour répondre très précisément à cette question capitale on distingue deux grandes classes de statuts des ordres légaux :

1.« Qat ‘iyy Ath-thubût wa Ad-dilâla » : il s’agit de tout ordre/texte du Coran ou de la sunna authentique qui est unanimement solide et authentique par rapport à sa chaîne de transmission ( ath-thubut) sans aucune divergence sur la fiabilité de cette chaîne (entre les savants spécialistes )- A signaler au passage que le Coran est un texte dit Qat ‘iyy Ath-thubût i.e qu’ il y a certitude sur l’authenticité de ses chaînes de transmission-
Et qui est ferme et explicite, n’admettant qu’un sens (Ad-dilala) unique et clairement attesté par le Prophète (paix et salut sur lui) ou ses compagnons et/ou unanimement admis par tous les savants (ijmaa). Exemples : « le fait de laver le visage et les pieds est une obligation dans les ablutions humides », « le fait d’accomplir les cinq prières quotidiennes », les piliers du dogme : comme l’unicité de Dieu, Sa non ressemblance à Ses créatures …Ce sont en général, des sujets qui forment le noyau dur et les bases incontestables de l’Islam. Pour cette catégorie, la divergence n’est pas admise entre musulmans et aucun ijtihad n’est possible. Car sinon ce sera de la déformation et de la trahison de la religion.

A signaler au passage que les sujets de cette catégorie sont limités et peu nombreux!

2. Les ordres ou prescriptions ou éléments dits « Zaniyy Ath-thubût aw Ad-dilâla », c’est-à-dire qu’il n’existe aucun texte authentique (ath-thubut) de la tradition (Coran , Sunna, paroles de compagnons) et aucun consensus des savants sur ce sujet ; ou que le texte authentique à leur propos admette plusieurs interprétations possibles (ad-dilala) (par les savants compétents)…

Ainsi, les outils de l’ « Ijtihâd » (de l’effort juridique) s’appliquent à ces sujets de cette deuxième catégorie (ces outils seront utilisés exclusivement et uniquement par les savants compétents).

Ainsi, le Muqallid (le musulman qui n’a pas atteint le statut de savant et qui n’a pas les compétences intellectuelles, scientifiques et spirituelles pour statuer sur les sujets nouveaux et/ou interpréter les textes sacrés) doit obligatoirement suivre un savant ou un comité de savants (ijtihad du groupe ). Nos savants disent à ce propos : « celui qui suit un savant, Dieu ne lui reprochera rien au jour du jugement ». En fait, le savant selon le Hadîth, même s’il se trompe, aura au minimum une récompense pour son Ijtihâd.
Le coeur vigilant de chacun et sons sens critique doit rester aussi éveillé pour ne pas sombrer dans le mimétisme aveugle et ne pas sacraliser les savants ou leurs avis! Car ils restent des humains faillibles.

Si le musulman Muqallid commence de son propre chef à statuer sur les sujets, il met en danger par cet acte irresponsable, la stabilité de la communauté et contribue à provoquer la Fitna et la division interdite en Islam.

Si la différence justifiée constitue une richesse et une ouverture, elle doit se faire dans le respect des avis des autres et dans un esprit d’amour et de fraternité loin de tout sectarisme ou exclusion de l’autre. Nous devons ainsi améliorer constamment notre rapport à l’altérité. La différence ou la divergence ne doit nullement amener à établir des clans ou à se disputer ou à engendrer la haine… Citons l’exemple des savants des quatre doctrines qui se respectaient et se considéraient entre eux, malgré la différence qui concernent plusieurs branches de la religion, telle la différence dans certaines sunan de la prière obligatoire ou même la façon de son accomplissement (position des mains, bouger l’index ou non dans le Tashahhud, faire un Salam ou deux Salam à la fin de la prière …)
Il en est de même pour la lecture du Coran « Al-qirâ’ât » qui se différencie en sept lectures admises (ou dix).

Toute divergence qui engendre une haine et une exclusion de l’autre est considérée comme une division dangereuse.Il faut respecter l’autre(son frère) pour pouvoir échanger convenablement avec lui.
Il faut savoir respecter les créatures d’Allah.
En ces temps de paix que nous vivons (grâce à Allah), l’échange fructueux (entre les humains) avec ses convenances est le seul garant de la bonne et sage communication des belles valeurs de l’Islam. Donner aussi et surtout exemple de soi même par un comportement exemplaire constitue une forme éminente de cette bonne communication (Da‘wa) et de notre lutte quotidienne contre toute forme islamophobie.

Le Takfir (l’exclusion ) est un danger qui menace notre unité sacrée, il est généralement le mauvais fruit de la division et du non respect de l’autre.

Seul le juge (Al-qâdî) ( désigné par l’autorité centrale d’un Etat musulman) peut statuer si telle personne est Kâfir (s’il y a un intérêt à cela).
La règle générale de base est la suivante : toute personne qui atteste que Dieu est unique et que Muhammad (paix et salut sur lui) est son dernier Messager et qui ne nie aucun des piliers de l’Islam, ne peut sous aucun prétexte être considéré comme Kâfir. Il reste musulman même s’il commet les pêchers. Pour le pêcheur, il y a la porte ouverte du repentir sincère qui lui permet d’effacer tous les péchés même les plus grands…

Dieu seul connaît les secrets des cœurs, et au jour dernier, Il décidera de pardonner à qui Il veut et de châtier qui Il veut : en fonction de l’intention et de la foi de chacun…

Il convient donc à tout musulman sincère de ne jamais juger les gens ou les mépriser ou les insulter ou les accuser. Il doit avoir toujours le bon jugement, la bonne présomption et la meilleure interprétation possible de tout ce qu’il peut voir ou entendre. Il ne doit jamais dévoiler les défauts et les failles des autres. Enfin, le respect mutuel est un garant de la cohésion et de l’union : malgré toutes les différences, on doit donc s’aimer, échanger et s’entraider pour le bien de l’humanité. Le bon conseil (an-Nasîha wa al-Maw‘izat al-Hasana) avec ses conditions et ses convenances fait partie de l’échange « essentiel » pour réformer l’individu et la société avec bienveillance en partant du sentiment de l’amour du bien pour notre prochain.

CFCM

Le Conseil français du culte musulman est une association française régie par la loi de 1901 qui a vocation à représenter le culte musulman en France auprès des instances étatiques pour les questions relatives à la pratique religieuse.

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