Paris, 16 novembre 2023
Les victimes ainsi que les otages israéliens de l’attaque du 7 octobre ont bénéficié et continuent de bénéficier d’un traitement médiatique humain, mettant l’accent sur les vies qui ont été détruites ce jour là et l’angoisse des familles qui attendent la libération de leurs proches.
Montrer leurs visages leurs histoires, leurs identités, leurs noms et prénoms, les témoignages bouleversants et d’autres éléments sur leurs calvaires ne peuvent que rendre toute personne éprise de paix et de justice, meurtrie par les atrocités dont ils ont été victimes.
Cette approche médiatique a permis, dans un élan de fraternité humaine, une compassion et une solidarité unanime de nos concitoyens à leur égard.
Force est de constater que les Palestiniens et leur terrible souffrance actuelle font l’objet d’un traitement médiatique totalement différent entrainant leur déshumanisation et une relativisation assumée de leur souffrance et de leur calvaire.
La majorité des images transmises dans nos médias et tendant à illustrer les souffrances palestiniennes se résument à des plans aériens de bâtiments détruits à Gaza. Comme si cette souffrance se limitait à des “pertes matérielles”. Comme si ce territoire assiégé et rasé n’était pas aussi porteur de vies et d’histoires humaines à partager.
Les visages des victimes palestiniennes ont été rendus quasiment invisibles dans nos médias. Aucun portrait de femmes, ni d’enfants avec leurs histoires personnelles n’a été présenté. Leur nom, prénom, identité, n’ont pas fait l’objet de sujet approfondis ni même simplement été retranscris.
Dans nos médias, les Palestiniens sont souvent évoqués comme des “boucliers humains” ou pire encore, comme des « boucliers civils ». Cette métaphore, répétée sans cesse, est porteuse d’un message autrement plus scandaleux. Les Palestiniens sont donc d’abord définis par un objet de guerre avant d’être des humains. Un bouclier n’a ni nom, ni prénom, ni identité. Un bouclier n’a ni parents, ni enfants, ni proches. Un bouclier ne ressent aucune douleur et n’est donc pas sujet de compassion.
Lorsqu’ils ne sont pas décrits comme des objets, les victimes palestiniennes sont désignées à travers des chiffres froids. Certains va-t-en guerre vont même jusqu’à minimiser voire nier ces chiffres alors même que la plupart des ONG sur place estiment qu’ils sont en deçà de la réalité. Ils ne prennent pas en compte les centaines ou les milliers de victimes toujours disparues sous les décombres dont une majorité de femmes et d’enfants.
Les chiffres de morts affichés cachent aussi l’énorme drame humain de ceux qui survivent aux massacres : orphelins, enfants estropiés et amputés sans anesthésie, et surtout le choc post traumatique que vivront toute leur vie, sans aucun accompagnement, la quasi totalité des civils palestiniens.
Les Palestiniens sont ainsi doublement déshumanisés : durant leur existence, ils sont victimes de traitements inhumains et dégradants, et une fois morts, certains vont jusqu’à nier leur disparition.
Cette déshumanisation des palestiniens rend toute une classe d’hommes et de femmes politiques et intellectuels insensibles aux massacres et aux atrocités dont les palestiniens sont victimes. Cette classe se drape sous l’affirmation : « Israël a le droit de se défendre » jusqu’à dire qu’il est normal que les tragédies des enfants israéliens et palestiniens tués « n’entrainent pas la même réaction ».
Cette déshumanisation neutralise toute réaction aux propos abjects et aux pires apologies de crimes contre l’humanité commis contre les palestiniens.
Ainsi, les propos du ministre israélien qui a qualifié les palestiniens d’animaux n’ont pas été suffisamment dénoncés dans nos médias et par nos politiques et intellectuels.
Une avocate franco-israélienne a déclaré sur la chaîne Cnews qu’il n’y avait pas de populations civiles innocentes à Gaza, et que tuer les enfants palestiniens était justifié. Le journaliste français qui l’interviewait, faisant mine de la reprendre, finit par lui trouver des circonstances atténuantes. Selon lui, elle parlait avec ses tripes et émotion parce qu’elle a vécu, le 7 octobre 2023, quelque chose de terrible !
Laurent Joffrin, nous explique que cibler une école qui se trouverait au-dessus d’un centre opérationnel du Hamas, même s’il est horrible, a une logique : « on ne cède pas au chantage du bouclier humain et on tue des civils. C’est horrible, mais il y a une raison ».
Le blocus total et l’enfermement de plus de deux millions de civils dans un enclos barbelés, tel du bétail, semble “normal” pour de nombreux médias qui ne s’attardent jamais sur ce drame pourtant capital et qui dure depuis des années. Il en est de même des attaques des colons israéliens contre les palestiniens de la Cisjordanie.
Au final, les médias grand public se trouvent de fait discrédités dans leur globalité, accentuant la défiance à leur égard notamment de la part des jeunes. Ces derniers, afin de combler les graves carences de nos médias, vont chercher l’information ailleurs notamment dans les réseaux sociaux. Dans ces espaces alternatifs, ils découvrent une réalité autre et des images terribles sur l’étendue de la tragédie humaine du peuple palestinien. Mais, ils peuvent aussi y être exposés à de grands risques de manipulation et de dérive aux conséquences à ne pas sous-estimer.
Le rôle de l’ARCOM est de veiller à ce que les médias de notre pays assument pleinement leur rôle d’information et de communication dans le respect de la pluralité des opinions et de l’égale dignité de tous. S’agissant du conflit israélo-palestinien, les médias ne doivent pas participer à la déshumanisation du peuple palestinien à travers le traitement médiatique injuste et indigne que nous venons d’évoquer.
Il est temps de rappeler à nos médias que toutes les vies se valent et que personne ne doit oublier que dans l’histoire, la déshumanisation d’un peuple a toujours été un préalable à la justification des pires atrocités envers lui et ce, dans l’indifférence générale.